Construire un parti révolutionnaire

Publié le par NPA REIMS

Le mouvement Ouvrier: Construire un parti révolutionnaire (Textes)

Manifeste du Parti Communiste (K. Marx - F. Engels, 1847),
Extraits

Quelle est la position des communistes par rapport à l'ensemble des prolétaires ?

Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.

Ils n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat.

Ils n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.

Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points :

1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat.

2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.

Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.

Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.

Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux. L'abolition des rapports de propriété qui ont existé jusqu'ici n'est pas le caractère distinctif du communisme.

Le régime de la propriété a subi de continuels changements, de continuelles transformations historiques.

La Révolution française, par exemple, a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise

Ce qui caractérise le communisme, ce n'est pas l'abolition de la propriété en général, mais l'abolition de la propriété bourgeoise.

Or, la propriété privée d'aujourd'hui, la propriété bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du mode production et d'appropriation basé sur des antagonismes de classes, sur l'exploitation des uns par les autres.

En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée.

La position des communistes à l'égard des partis ouvriers déjà constitués s'explique d'elle-même, et, partant, leur position à l'égard des chartistes en Angleterre et des réformateurs agraires dans l'Amérique du Nord.

Ils combattent pour les intérêts et les buts immédiats de la classe ouvrière; mais dans le mouvement présent, ils défendent et représentent en même temps l'avenir du mouvement. En France, les communistes se rallient au Parti démocrate-socialiste contre la bourgeoisie conservatrice et radicale, tout en se réservant le droit de critiquer les phrases et les illusions léguées par la tradition révolutionnaire.

En Suisse, ils appuient les radicaux, sans méconnaître que ce parti se compose d'éléments contradictoires, moitié de démocrates socialistes, dans l'acception française du mot, moitié de bourgeois radicaux.

En Pologne, les communistes soutiennent le parti qui voit, dans une révolution agraire, la condition de l'affranchissement national, c'est-à-dire le parti qui fit, en 1846, l'insurrection de Cracovie.

En Allemagne, le Parti communiste lutte d'accord avec la bourgeoisie, toutes les fois que la bourgeoisie agit révolutionnairement contre la monarchie absolue, la propriété foncière féodale et la petite bourgeoisie.

Mais, à aucun moment, il ne néglige d'éveiller chez les ouvriers une conscience claire et nette de l'antagonisme violent qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, afin que, l'heure venue, les ouvriers allemands sachent convertir les conditions politiques et sociales, créées par le régime bourgeois, en autant d'armes contre la bourgeoisie, afin que, sitôt détruites les classes réactionnaires de l'Allemagne, la lutte puisse s'engager contre la bourgeoisie elle-même.

C'est vers l'Allemagne que se tourne surtout l'attention des communistes, parce que l'Allemagne se trouve à la veille d'une révolution bourgeoise, parce qu'elle accomplira cette révolution dans des conditions plus avancées de la civilisation européenne et avec un prolétariat infiniment plus développé que l'Angleterre et la France au XVI° et au XVIII° siècle, et que par conséquent, la révolution bourgeoise allemande ne saurait être que le prélude immédiat d'une révolution prolétarienne.

En somme, les communistes appuient en tous pays tout mouvement révolutionnaire contre l'ordre social et politique existant.

Dans tous ces mouvements, ils mettent en avant la question de la propriété à quelque degré d'évolution qu'elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement.

Enfin, les communistes travaillent à l'union et à l'entente des partis démocratiques de tous les pays.

Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner.

PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !

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Sources théoriques et historiques du parti bolchévik

Ernest Mandel 1953

Conscience ouvrière et conscience communiste

Mais qui dit actualité de la révolution prolétarienne dit actualité d'une action consciente d'une classe sociale, non pas soulèvement spontané d'une foule indistincte. Ce qui distingue précisément la révolution prolétarienne de toute autre révolution précédente dans l'histoire, c'est qu'elle est irréalisable sans que ses principaux acteurs - non pas quelques « chefs » , mais des milliers et des centaines de milliers de prolétaires - aient hautement conscience du but de leur action.

Toutes les révolutions sociales précédentes dans l'histoire comportaient deux aspects nettement séparés : d'une part, une révolte du peuple excédé par la misère et l'injustice ; d'autre part, le passage du pouvoir à une classe qui avait déjà entre les mains les principales ressources économiques de la société, passage qui se déroulait à l'insu du peuple qui venait de donner son sang pour la victoire révolutionnaire. La révolution prolétarienne ne tend pas à remplacer une forme d'exploitation par une autre. Elle tend à abolir toute forme d'exploitation de l'homme par l'homme. Elle ne peut donc pas se satisfaire d'un déroulement automatique du processus révolutionnaire. Elle tend à l'orienter vers un but précis : la socialisation des moyens de production par la conquête du pouvoir politique par le prolétariat. La victoire de la révolution prolétarienne a comme précondition subjective un certain niveau de conscience socialiste chez de larges masses de prolétaires. Le capitalisme ne prépare que les préconditions objectives sans l'existence desquelles l'entreprise serait utopique, c'est-à-dire vouée à l'échec.

Tout cela est généralement admis par tous ceux qui se réclament du marxisme. Mais une fois qu'on admet le rôle prédominant joué par la conscience socialiste, par l'orientation consciente, vers la victoire et le parachèvement de la révolution socialiste, on est amené à se poser la question : quelles sont les racines, quelles sont les sources de cette conscience ? A cette question, il n'y a qu'une réponse possible : la conscience communiste moderne, contrairement à l'instinct communiste tel qu'il subsiste dans des communautés primitives, est un produit de la science, et seulement indirectement, à travers le processus de sa formation historique, un produit de la société bourgeoise. Produits automatiques, inévitables, de la société bourgeoise, ce sont l'exacerbation des contradictions de classe d'une part et son corrélatif inévitable, l'esprit de révolte et d'indignation sociale de larges masses ouvrières contre le système d'autre part.

Mais pas plus qu'on ne peut accéder à la science médicale parce qu'on se révolte contre la douleur physique, pas plus ne peut-on accéder instinctivement à la science sociale parce qu'on se révolte contre l'injustice sociale. La science du communisme moderne, faite d'analyse historique, économique et sociale des origines et du développement de la division de la société en classes, et des préconditions matérielles pour le rétablissement d'une société communautaire, ne s'acquiert qu'à travers l'éducation et l'étude.

... il serait absurde de prétendre que le prolétariat est incapable d'accéder par lui-même à la conscience de classe, c'est-à-dire à la conscience des intérêts particuliers qui séparent la masse des travailleurs des intérêts des bourgeois, et à la nécessité de défendre ces intérêts par la solidarité et l'organisation collectives de tous les membres de sa classe. L'histoire abonde en exemples d'actions de classe du prolétariat avant la rédaction du Manifeste Communiste. Il ne serait même pas juste de dire que ces actions étaient exclusivement trade-unionistes; L'insurrection ouvrière de juin 1848 à Paris était une insurrection nettement politique, et elle n'était ni inspirée ni dirigée par des théoriciens marxistes.

Mais toutes les actions ouvrières spontanées ne peuvent représenter qu'une étape, un moment limité de la marche du prolétariat vers le monde communiste. L'ensemble du programme communiste, la classe ouvrière ne peut y accéder ni spontanément, ni dans son ensemble. Seul une avant-garde ouvrière incarnant à la fois l'expérience de classe portée à sa plus haute expression, c'est-à-dire la conscience communiste. L'organisation efficace de cette avant-garde est indispensable si l'on veut faire accéder à plus longue échéance la majorité de la classe à cette même conscience, à l'aide de l'éducation, de l'exemple et de l'expérience collective.

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Grève de masse, parti, syndicat

(Rosa Luxemburg, 1906)

Extraits

En effet, la distinction entre la lutte politique et la lutte économique, l'autonomie de ces deux formes de combat ne sont qu'un produit artificiel, quoique historiquement explicable, de la période parlementaire.

D'une part, dans l'ordre « normal » de la société bourgeoise la lutte économique est dispersée, morcelée en une infinité de luttes partielles dans chaque entreprise, dans chaque branche de production. D'autre part, ce ne sont pas les masses elles-mêmes qui mènent la lutte politique par une action directe, mais conformément aux normes de l'Etat bourgeois, l'action politique s'exerce par voie représentative, par une pression opérée sur les corps législatifs. Dès l'ouverture d'une période de luttes révolutionnaires, c'est-à-dire dès que ces masses apparaissent sur le champ de bataille, cette dispersion des luttes économiques cesse, ainsi que la forme parlementaire indirecte de la lutte politique : dans une action révolutionnaire de masse, la lutte politique et la lutte économique ne font plus qu'un, et les barrières artificielles élevées entre le syndicat et la social-démocratie considérés comme deux formes distinctes parfaitement autonomes du mouvement ouvrier tombent purement et simplement. Mais ces phénomènes qui se manifestent avec une évidence frappante au cours des mouvements révolutionnaires de masse sont une réalité objective, même en période parlementaire.

Il n'existe pas deux espèces de luttes distinctes de la classe ouvrière, l'une de caractère politique, et l'autre de caractère économique, il n'y a qu'une seule lutte de classe, visant à la fois à limiter les effets de l'exploitation capitaliste et à supprimer cette exploitation en même temps que la société bourgeoise. S'il est vrai qu'en période parlementaire les deux aspects de la lutte de classe se distinguent pour des raisons techniques, ils ne représentent pas pour autant deux actions parallèles, mais seulement deux phases, deux degrés de la lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière.

La lutte syndicale embrasse les intérêts immédiats, la lutte politique de la social-démocratie les intérêts futurs du mouvement ouvrier. Les communistes, est-il écrit dans le Manifeste communiste, défendent en face des groupes d'intérêts divers (nationaux ou locaux) les intérêts communs au prolétariat tout entier, et à tous les stades de développement de la lutte de classe l'intérêt du mouvement dans son ensemble, c'est-à-dire le but final : l'émancipation du prolétariat.

Les syndicats représentent l'intérêt des groupes particuliers et un certain stade du développement du mouvement ouvrier. La social-démocratie représente la classe ouvrière et les intérêts de son émancipation dans leur ensemble. Le rapport des syndicats au parti socialiste est donc celui d'une partie au tout, si la théorie de « l'égalité » des droits entre le syndicat et la social-démocratie trouve tant d'écho parmi les dirigeants syndicaux, cela provient d'une méconnaissance foncière de la nature des syndicats et de leur rôle dans la lutte générale pour l'émancipation de la classe ouvrière.

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Conditions d'admission des Partis dans l'Internationale Communiste (juillet 1920)

Avertissement

Ces conditions furent adoptées au second congrès de l'internationale communiste. Ses fondateurs craignaient que le mouvement d'adhésion qui se manifestait dans le mouvement ouvrier international amène dans l'internationale des dirigeants imprégnés d'un passé réformiste, d'adaptant au temporairement au flot montant, mais incapables de changer leur pratique et de construire de véritables partis communistes. L'avenir a montré que ce danger n'était pas imaginaire. Les conditions imposaient donc à ces partis pénétrés d'une pratique réformiste, parlementaire, des tâches révolutionnaires, dans un contexte où il n'existait, en dehors des bolcheviks, d'autre direction révolutionnaire. Les choix de délimitation étaient donc délicats et parfois discutables, même si la préoccupation générale était juste.

On peut les lire aujourd'hui de manière critique, mais en tenant compte du contexte dans lequel elles ont été écrites

Le premier Congrès constituant de l'Internationale Communiste n'a pas élaboré les conditions précises de l'admission des Partis dans la III° Internationale. Au moment où eut lieu son premier Congrès, il n'y avait dans la plupart des pays que des tendances et des groupes communistes.

Le deuxième Congrès de l'Internationale Communiste se réunit dans de tout autres conditions. Dans la plupart des pays il y a désormais, au lieu des tendances et des groupes, des Partis et des organisations communistes.

De plus en plus souvent, des Partis et des groupes qui, récemment encore, appartenaient à la II° Internationale et qui voudraient maintenant adhérer à l'Internationale Communiste s'adressent à elle, sans pour cela être devenus véritablement communistes. La II° Internationale est irrémédiablement défaite. Les Partis intermédiaires et les groupes du « centre » voyant leur situation désespérée, s'efforcent de s'appuyer sur l'Internationale Communiste, tous les jours plus forte, en espérant conserver cependant une « autonomie » qui leur permettrait de poursuivre leur ancienne politique opportuniste ou « centriste ». L'Internationale Communiste est, d'une certaine façon, à la mode.

Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d'adhérer à la III° Internationale nous confirme indirectement que l'Internationale Communiste a conquis les sympathies de la grande majorité des travailleurs conscients du monde entier et constitue une puissance qui croît de jour en jour.

L'Internationale Communiste est menacée de l'envahissement de groupes indécis et hésitants qui n'ont pas encore pu rompre avec l'idéologie de la II° Internationale.

En outre, certains Partis importants (italien, suédois), dont la majorité se place au point de vue communiste, conservent encore en leur sein de nombreux éléments réformistes et social-pacifistes qui n'attendent que l'occasion pour relever la tête, saboter activement la révolution prolétarienne, en venant ainsi en aide à la bourgeoisie et à la II° Internationale.

Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des soviets hongroise. L'union des communistes hongrois avec les réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.

C'est pourquoi le 2° Congrès international croit devoir fixer de façon tout à fait précise les conditions d'admission des nouveaux Partis et indiquer par la même occasion aux Partis déjà affiliés les obligations qui leur incombent.

Le 2° Congrès de l'Internationale Communiste décide que les conditions d'admission dans l'Internationale sont les suivantes :

1. La propagande et l'agitation quotidiennes doivent avoir un caractère effectivement communiste et se conformer au programme et aux décisions de la III° Internationale. Tous les organes de la presse du Parti doivent être rédigés par des communistes sûrs, ayant prouvé leur dévouement à la cause du prolétariat. Il ne convient pas de parler de dictature prolétarienne comme d'une formule apprise et courante ; la propagande doit être faite de manière à ce que la nécessité en ressorte pour tout travailleur, pour toute ouvrière, pour tout soldat, pour tout paysan, des faits mêmes de la vie quotidienne, systématiquement notés par notre presse. La presse périodique ou autre et tous les services d'éditions doivent être entièrement soumis au Comité Central du Parti, que ce dernier soit légal ou illégal. Il est inadmissible que les organes de publicité mésusent de l'autonomie pour mener une politique non conforme à celle du Parti. Dans les colonnes de la presse, dans les réunions publiques, dans les syndicats, dans les coopératives, partout où les partisans de la III° Internationale auront accès, ils auront à flétrir systématiquement et impitoyablement non seulement la bourgeoisie, mais aussi ses complices, réformistes de toutes nuances.

2. Toute organisation désireuse d'adhérer à l'Internationale Communiste doit régulièrement et systématiquement écarter des postes impliquant tant soit peu de responsabilité dans le mouvement ouvrier (organisations de Parti, rédactions, syndicats, fractions parlementaires, coopératives, municipalités) les réformistes et les « centristes » et les remplacer par des communistes éprouvés, - sans craindre d'avoir à remplacer, surtout au début, des militants expérimentés, par des travailleurs sortis du rang.

3. Dans presque tous les pays de l'Europe et de l'Amérique la lutte de classes entre dans la période de guerre civile. Les communistes ne peuvent, dans ces conditions, se fier à la légalité bourgeoise. Il est de leur devoir de créer partout, parallèlement à l'organisation légale, un organisme clandestin, capable de remplir au moment décisif, son devoir envers la révolution. Dans tous les pays où, par suite de l'état de siège ou de lois d'exception, les communistes n'ont pas la possibilité de développer légalement toute leur action, la concomitance de l'action légale et de l'action illégale est indubitablement nécessaire.

4. Le devoir de propager les idées communistes implique la nécessité absolue de mener une propagande et une agitation systématique et persévérante parmi les troupes. Là, où la propagande ouverte est difficile par suite de lois d'exception, elle doit être menée illégalement ; s'y refuser serait une trahison à l'égard du devoir révolutionnaire et par conséquent incompatible avec l'affiliation à la III° internationale.

5. Une agitation rationnelle et systématique dans les campagnes est nécessaire. La classe ouvrière ne peut vaincre si elle n'est pas soutenue tout au moins par une partie des travailleurs des campagnes (journaliers agricoles et paysans les plus pauvres) et si elle n'a pas neutralisé par sa politique tout au moins une partie de la campagne arriérée. L'action communiste dans les campagnes acquiert en ce moment une importance capitale. Elle doit être principalement le fait des ouvriers communistes en contact avec la campagne. Se refuser à l'accomplir ou la confier à des demi-réformistes douteux c'est renoncer à la révolution prolétarienne.

6. Tout Parti désireux d'appartenir à la III° Internationale, a pour devoir de dénoncer autant que le social-patriotisme avoué le social-pacifisme hypocrite et faux ; il s'agit de démontrer systématiquement aux travailleurs que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, nul tribunal arbitral international, nul débat sur la réduction des armements, nulle réorganisation « démocratique » de la Ligue des Nations ne peuvent préserver l'humanité des guerres impérialistes.

7. Les Partis désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste ont pour devoir de reconnaître la nécessité d'une rupture complète et définitive avec le réformisme et la politique du centre et de préconiser cette rupture parmi les membres des organisations. L'action communiste conséquente n'est possible qu'à ce prix. L'Internationale Communiste exige impérativement et sans discussion cette rupture qui doit être consommée dans le plus bref délai. L'Internationale Communiste ne peut admettre que des réformistes avérés, tels que Turati, Kautsky, Hilferding, Longuet, Mac Donald, Modigliani et autres, aient le droit de se considérer comme des membres de la III° Internationale, et qu'ils y soient représentés. Un pareil état de choses ferait ressembler par trop la III° Internationale à la II°.

8. Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la III° Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies, d'exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d'entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux.

9. Tout Parti désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste doit poursuivre une propagande persévérante et systématique au sein des syndicats, coopératives et autres organisations des masses ouvrières. Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats au communisme. Leur devoir sera de révéler à tout instant la trahison des social-patriotes et les hésitations du « centre ». Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l'ensemble du Parti.

10. Tout Parti appartenant à l'Internationale Communiste a pour devoir de combattre avec énergie et ténacité l'« Internationale » des syndicats jaunes fondée à Amsterdam. Il doit répandre avec ténacité au sein des syndicats ouvriers l'idée de la nécessité de la rupture avec l'Internationale Jaune d'Amsterdam. Il doit par contre concourir de tout son pouvoir à l'union internationale des syndicats rouges adhérant à l'Internationale Communiste.

11. Les Partis désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste ont pour devoir de réviser la composition de leurs fractions parlementaires, d'en écarter les éléments douteux, de les soumettre, non en paroles mais en fait, au Comité Central du Parti, d'exiger de tout député communiste la subordination de toute son activité aux intérêts véritables de la propagande révolutionnaire et de l'agitation.

12. Les Partis appartenant à l'Internationale Communiste doivent être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique. A l'époque actuelle de guerre civile acharnée, le Parti Communiste ne pourra remplir son rôle que s'il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs, exerce une autorité incontestée, bénéficie de la confiance unanime des militants.

13. Les Partis Communistes des pays où les communistes militent légalement doivent procéder à des épurations périodiques de leurs organisations, afin d'en écarter les éléments intéressés et petit-bourgeois.

14. Les Partis désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste doivent soutenir sans réserves toutes les républiques soviétiques dans leurs luttes avec la contre-révolution. Ils doivent préconiser inlassablement le refus des travailleurs de transporter les munitions et les équipements destinés aux ennemis des républiques soviétiques, et poursuivre, soit légalement soit illégalement, la propagande parmi les troupes envoyées contre les républiques soviétiques.

15. Les Partis qui conservent jusqu'à ce jour les anciens programmes social-démocrates ont pour devoir de les réviser sans retard et d'élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l'esprit de l'Internationale Communiste. Il est de règle que les programmes des Partis affiliés à l'Internationale Communiste soient confirmés par le Congrès International ou par le Comité Exécutif. Au cas où ce dernier refuserait sa sanction à un Parti, celui-ci aurait le droit d'en appeler au Congrès de l'Internationale Communiste.

16. Toute les décisions des Congrès de l'Internationale Communiste, de même que celles du Comité Exécutif, sont obligatoires pour tous les Partis affiliés à l'Internationale Communiste. Agissant en période de guerre civile acharnée, l'Internationale Communiste et son Comité Exécutif doivent tenir compte des conditions de lutte si variées dans les différents pays et n'adopter de résolutions générales et obligatoires que dans les questions où elles sont possibles.

17. Conformément à tout ce qui précède, tous les Partis adhérant à l'Internationale Communiste doivent modifier leur appellation. Tout Parti désireux d'adhérer à l'Internationale Communiste doit s'intituler Parti Communiste de... (section de la III° Internationale Communiste). Cette question d'appellation n'est pas une simple formalité ; elle a aussi une importance politique considérable. L'Internationale Communiste a déclaré une guerre sans merci au vieux monde bourgeois tout entier et à tous les vieux Partis social-démocrates jaunes. Il importe que la différence entre les Partis Communistes et les vieux Partis « social-démocrates » ou « socialistes » officiels qui ont vendu le drapeau de la classe ouvrière soit plus nette aux yeux de tout travailleur.

18. Tous les organes dirigeants de la presse des Partis de tous les pays sont obligés d'imprimer tous les documents officiels importants du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste.

19. Tous les Partis appartenant à l'Internationale Communiste ou sollicitant leur adhésion sont obligés de convoquer (aussi vite que possible), dans un délai de 4 mois après le 2° Congrès de l'Internationale Communiste, au plus tard, un Congrès extraordinaire afin de se prononcer sur ces conditions. Les Comités Centraux doivent veiller à ce que les décisions du 2° Congrès de l'Internationale Communiste soient connues de toutes les organisations locales.

20. Les Partis qui voudraient maintenant adhérer à la III° Internationale, mais qui n'ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique, doivent préalablement veiller à ce que les 2/3 des membres de leur Comité Central et des Institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades, qui déjà avant le 2° Congrès s'étaient ouvertement prononcés pour l'adhésion du Parti à la III° Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l'approbation du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve le droit de faire des exceptions pour les représentants de la tendance centriste mentionnés dans le paragraphe 7.

21. Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l'Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

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Ernest Mandel

15 novembre 1989

article paru en anglais dans le tome I des « cinq premières années de l'internationale communiste »

première publication en français dans « la vérité » en supplément au n° 315 du 1-02-1959

Le rapport entre l'auto-organisation de la classe ouvrière et l'organisation d'avant-garde constitue un des problèmes les plus compliqués du marxisme. Jusqu'à maintenant, ce problème n'a pas été traité de manière systématique, ni à la lumière de la théorie ni à celle des données empiriques sur la lutte ouvrière, accumulées depuis cent cinquante ans. Bien qu'Engels (ainsi que Marx, mais moins que celui-ci) ait abordé ce problème dans de nombreuses lettres et de nombreux articles, cela vaut aussi pour les fondateurs du socialisme scientifique.

Lorsque l'on passe en revue les œuvres les plus connues qui ont été dédiées à ce problème - Que faire ? de Lénine, les Problèmes organisationnels de la social-démocratie russe de Rosa Luxemburg, les écrits de Kautsky contre Bernstein, Rosa Luxemburg et les bolcheviks, la Maladie infantile de Lénine et le Parti illégal d'Otto Bauer -, il apparaît qu'elles sont toutes de nature polémique et ont, donc, un caractère fragmentaire et de circonstance. Les œuvres de jeunesse de Lukacz, Histoire et conscience de classe et Lénine, sont d'un niveau d'abstraction tellement élevé qu'ils ne peuvent comporter un traitement systématique du thème. Les écrits de Gramsci du début des années vingt s'approchent du problème. Mais il s'agit ici principalement d'articles de journaux disparates et non pas d'un exposé systématique.

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Trotsky se distingue d'eux par le fait qu'ayant vécu plus longtemps que Lénine et Rosa, il a pu aborder le problème classe/parti, auto-organisation/parti d'avant-garde pendant quarante ans en se basant sur une expérience plus différenciée et plus riche du mouvement ouvrier dans toute une série de pays. Il a assimilé les phénomènes nouveaux du fascisme et du stalinisme et les problèmes découlant de la lutte contre ceux-ci.

En même temps - et peut-être précisément pour cette raison -, ses contributions successives sur le thème classe/parti, auto-organisation/organisation d'avant-garde, sont d'une plus grande hétérogénéité que celles de Lénine et de Rosa Luxemburg. Trotsky a modifié au moins cinq fois sa position fondamentale sur cette problématique, bien qu'il y ait sans doute un "fil rouge" commun à travers ces positions successives. Alors qu'on peut essayer d'esquisser une synthèse des conceptions de Lénine et de Rosa, dans le cas de Trotsky, on doit plutôt essayer de tirer un bilan de son évolution. Cela débouche sur l'esquisse de la réponse à la problématique en question, qu'il proposa à la fin de sa vie.

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La synthèse finale: 1930-1940

Pendant dix années, de 1923 à 1933, Trotsky a affronté le problème du Thermidor soviétique - la contre-révolution politique en URSS. Cet effort analytique coïncidait avec la lutte pour clarifier de manière théorique le rapport "auto-organisation de la classe/organisation d'avant-garde », à la lumière de l'expérience de dégénérescence bureaucratique du premier état ouvrier.

Mais pas seulement à la lumière de cette expérience. Au plus tard, dès la montée du danger fasciste en Allemagne, partiellement déjà à la lumière de l'expérience de la grève générale anglaise de 1926, Trotsky formule un nombre de conclusions sur le rapport classe/syndicats de masse/conseils/partis ouvriers, qui, en ce qui le concerne, seront définitivement confirmées par les expériences tragiques de la révolution espagnole de 1936-1937. Elles peuvent être résumées sous forme des thèses suivantes:

a) la classe ouvrière n'est homogène ni sur le plan social ni sur celui de la conscience. Son hétérogénéité relative implique au moins la possibilité, sinon la fatalité, de la formation de plusieurs courants politiques et de partis, qui sont soutenus par des fractions de cette classe.

b) La lutte quotidienne victorieuse de la classe ouvrière, aussi bien pour des revendications immédiates économiques et politiques (peut-être contre le danger du fascisme), exige un fort degré d'unité d'action de la classe. Elle exige donc des organisations qui comprennent des ouvriers de différentes convictions politiques et de différentes loyautés organisationnelles, c'est-à-dire des organisations basées sur un front unique de fait entre différents partis et courants. Les syndicats de masse et les conseils sont des exemples de telles organisations. Dans la révolution espagnole, les comités des milices ont joué le même rôle, surtout en Catalogne.

c) Même lorsqu'elles sont partiellement, ou pendant une certaine période totalement dirigées par des appareils fortement intégrés dans l'État bourgeois (la société bourgeoise), les organisations de masse ne représentent pas exclusivement des formes d'intégration et de subordination. Elles ont toujours au moins un caractère double et elle restent au moins des instruments potentiels d'émancipation et d'auto-activité de la classe. Elles sont « des germes de démocratie prolétarienne à l'intérieur de la démocratie bourgeoise." (35)

d) Le parti d'avant-garde révolutionnaire se distingue des autres partis ouvriers essentiellement par le fait que par son programme, sa stratégie et sa pratique courante, il représente et défend totalement les intérêts immédiats et historiques de la classe ouvrière, défense orientée vers le renversement de l'État bourgeois et du mode de production capitaliste et vers la construction d'une société socialiste sans classe. Pour atteindre ce but, il doit convaincre la majorité de la classe ouvrière de la justesse de son programme, de sa stratégie et de sa pratique courante. Cela ne peut se faire qu'avec des moyens politiques et non pas administratives. Cela exige entre autres une application correcte de la tactique du front unique prolétarien. Cela exige le respect de l'autonomie et de la liberté d'action de toutes les organisations ouvrières.

e) Les mêmes régles de conduite valent mutatis mutandis pour la construction de l'État ouvrier et pour les formes d'exercice du pouvoir politique (à l'exception possible de la guerre civile aiguë). Au cours de ce processus, le rôle dirigeant du parti révolutionnaire est garanti par ses succès de conviction politique et non pas par des mesures administratifs, et certainement pas par la répression contre des secteurs de la classe ouvrière. Il ne peut être réalisé que par l'application du principe d'efficacité à la politique; la séparation rigoureuse de l'État et du parti, l'exercice directe du pouvoir par des organes de la population travailleuse, élus démocratiquement et non pas par le parti d'avant-garde lui-même, le pluripartisme: Les ouvriers et les paysans doivent être libres d'élire aux conseils ceux qu'ils veulent.

f) La démocratie socialiste, la démocratie dans les soviets et dans le syndicat, la démocratie dans le parti (droit de tendance, pas d'interdiction des fractions, bien qu'elles sont "in se" indésirables) ont besoin l'une de l'autre. Ce ne sont pas des normes abstraites mais des conditions pratiques pour un combat ouvrier efficace et pour la construction efficace du socialisme. Sans démocratie prolétarienne, le front unique prolétarien, et donc la lutte ouvrière victorieuse, est au meilleur cas mise en danger et au pire des cas rendue impossible . Sans démocratie socialiste, une économie planifiée socialiste efficace est également impossible.

Depuis l'élaboration de ces thèses dans les années 1930-1936, il ne s'est rien passé à l'Est et à l'Ouest qui pourrait remettre en cause leur validité. Au contraire : le développement historique ultérieur, aussi bien dans les pays capitalistes que dans les pays dits "socialistes", a entièrement confirmé leur pertinence historique et théorique.

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http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000.htm

Pierre Broué, Histoire du parti bolchevik, 1963

http://www.marxists.org/francais/broue/works/1963/00/broue_pbolch.htm

Lénine, Que faire? 1902

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Lénine, la maladie infantile du communisme : le gauchisme, 1920

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Rosa Luxemburg, Grève de masse partis et syndicats, 1906
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Ernest Mandel, Lénine et le problème de la conscience de classe prolétarienne, 1970.

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Ernest Mandel, Actualité de la théorie d'organisation léniniste à la lumière de l'expérience historique, 1971.

http://www.ernestmandel.org/fr/ecrits/txt/1971/organisationleninistePRAXIS.htm

Ernest Mandel, auto-organisation et parti d'avant-garde dans la conception de Trotsky,1989

http://www.marxists.org/francais/mandel/works/1989/11/em19891115_rtf.zip

Ernest Mandel, nécessité d'une organisation internationale révolutionnaire,1981

http://www.ernestmandel.org/fr/ecrits/txt/1981/organisation_internationale.htm

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